Violence des manifestations en France. Une fatalité? Arguments, mythes politiques
Article publié le 27/03/2019
On prétend souvent – sur un ton docte – que nos acquis sociaux n’auraient jamais existé sans luttes violentes, de la casse, et une dose de sang nécessaire ; dès lors, plutôt que de s’étouffer bourgeoisement contre la pagaille dans les rues et contre les manifestants interlopes (gilets jaunes, Notre-Dame-des-Landes, etc), nous devrions comprendre que le progrès social n’intervient pas dans la dentelle. François Bégaudeau et de nombreux intellectuels classés à gauche répètent cette apparente évidence sur tous les plateaux, avec cette nuance didactique qui achève de convaincre.
Et pourtant. Derrière l’aspect irréfragable de l’argument, on sent bien que quelque chose ne fonctionne pas. Si l’on prend un instant pour réfléchir, il apparaît très vite qu’il s’agit d’une sorte d’arnaque logique, en vérité tout à fait défaillante. Pourquoi ?
Parce qu’il n’y a qu’en France que cela semble se passer comme ça, et que dans la plupart des autres pays civilisés, il n’y a généralement pas la moindre violence dans la négociation des acquis sociaux. Il faut d’ailleurs être savamment aveugle pour accroire que la situation qui prévaut en France soit universelle : cela dénote évidemment une totale absence de curiosité intellectuelle, de regard sur l’extérieur. On se persuade avec gravité qu’il n’y a pas d’avancées sans luttes violentes, sans destructions, sans manifestations un tant soit peu furieuses. C’est là croire en une mystique, en une esthétique politique plutôt qu’aux forces du discernement.
Que nous enseigne notre discernement ? Qu’en France, effectivement, il semble que toute avancée sociale passe par la violence (les gouvernements commencent à négocier dès qu’ils ont peur, etc…). Il s’agit plutôt d’un état de fait répété que d’une vérité axiomatique, car bien des manifestations ont par le passé forcé la main du gouvernement sans violence (retrait du projet Savary en 1984 sur le mouvement de l’Ecole libre, ABCD de l’égalité…). Bien au contraire, il semblerait même que les "acquis sociaux" arrachés dans le tumulte et la casse soient grevés d’une sorte de malédiction intérieure : irréformabilité, médiocrité de fonctionnement, etc.
La question est donc la suivante : pourquoi donc la France serait-elle condamnée à un tel état de fait (et non "vérité") : le progrès par la violence et la casse ? Par quel manque d’imagination peut-on végéter dans de tels marécages idéologiques ? Un père ironique aurait-il donc raison de dire « il n’y a qu’avec la violence qu’on peut élever des enfants, qu’on peut leur faire comprendre leurs devoirs; sans cela, ils font n'importe quoi ». Qui souscrirait à une telle déclaration ? Vous me direz précipitamment que « cela n’a rien à voir », et je vous répondrai que c’est bien arrangeant que celait « n’ait rien à voir »… car si l’on y songe avec un peu d’amplitude…
Certains intellectuels, victimes des courbes et des chiffres, manquent parfois le réel criant en l’assimilant de facto à de l’apparence. Ainsi, l’historienne Zancarini-Fournel a-t-elle cru exact de soutenir : « Finalement dans le discours général, il semble toujours que la prochaine manifestation sera plus violente que la précédente. En fait, on est plutôt dans une tendance de pacification des manifestations » (cf. France inter, 11 février 2019)
L’actualité infirme nettement cette déclaration. Un réensauvagement du citoyen moyen se constate sociologiquement, au-delà des outils de mesure scientifiques traditionnels.