Taïwan - témoignage sécurité, culture, spécialités culinaires
Article publié le 04/10/2018
Processions de chiens trimbalés en poussette, ministre transgenre, usagers des transports ultra disciplinés, incivilités quasi inexistantes, catastrophes naturelles… Taïwan est une destination idéale pour une belle enquête sociologique. Jérémie Dardy a investigué sur place.
Les restaurants de Taïwan
Un bubble tea en main, je vagabonde comme une taupe qui viendrait de recouvrer la vue. L’écrasante tour Taipei 101 me fait face ; j’entre dans le building ultra moderne. Une vingtaine de restaurants s’étalent à perte de vue. Cadres et quidams encravatés déambulent en tous sens. Je m’enfonce lentement dans ce magma. J’opte pour un mandarin précaire, je passe commande. Erreur fatale ; l’employée ne comprend goutte et je me retrouve avec des intestins de porc dans mon assiette. Écoeuré, je plie bagage.
Un menu appétissant retient mon attention sur un autre stand ; deuxième faux pas. Une odeur fétide me prend à la gorge ; c’est du tofu puant [fromage de haricot de soja]. Lecteur, rends-toi compte, c’est plus nauséabond qu’un Pont-l’Évêque avarié depuis la guerre ; visuellement, ça se rapproche de la vieille éponge jaunie. Pas de jugement, les Taïwanais en raffolent. Je me rabats donc sur un Din Tai Fung, restaurant traditionnel de standing acceptable ; pour le dessert, j’engloutis, nostalgique, un éclair au café déniché dans une chaîne de boulangerie hexagonale. Mon déjeuner est terminé, j’ai laissé une centaine de dollars taïwanais.
Chiens : animaux domestiques ou poupées pour adultes ?
J’atteins la rivière Keelung dans le centre de Taipei, la capitale ; je fais la connaissance de Madame Wang, la soixantaine tassée, qui a pour habitude de promener son chien dans la zone… en poussette. D’ordinaire, elle bat le pavé chaque après-midi accompagnée de quelques amies ; elles aussi poussent leur bête infâme dans une poussette. Intrigué, je l'interroge sur cette pratique que je trouve inquiétante. Réponse : “Cela donne une deuxième vie à ma voiture pliable étant donné que mes petits-enfants sont trop grands pour l’utiliser (…) Et c’est très pratique pour transporter mon chien !”.
Je me dirige ensuite vers Daan Park, l’un des autres poumons de la ville ; à l’horizon, une poignée d'adeptes du tai-chi et un groupe de vieillards braillards agglutinés. Ces derniers jouent au cricket dans la végétation. Plus loin, un badaud en vélo vadrouille avec son chien dans son panier, tandis qu’un gang d’écureuils passe en trombe. Je fuis.
Le marché de nuit de Taipei
Direction le métro ; je crois être victime d’une hallucination. Non, nous sommes bien à Taïwan : le train est peinturluré de personnages Disney, d’un kitch atroce. Tiens, un cafard à mes pieds… tout n’est pas si propret qu’on l’imagine de loin. Les usagers, imperturbables, se mettent mécaniquement en rang d’oignons jusqu’à former un serpent humain, puis s’encastrent dans les wagons. Une fois à l’air libre, je me dirige vers le marché de nuit de Raohe Street, l’un des plus vieux de la cité ; dans les environs, les caméras, innombrables, scrutent les moindres faits et gestes des passants.
À cet instant, James [beaucoup de Chinois et de Taïwanais ont un prénom anglais parce qu’il est plus facile à comprendre] m’aborde et me lance dans la langue de Shakespeare : “Tu es d’où ?”. Nous avançons ensemble. À l’image des autres insulaires, mon guide est affable et ouvert, dénué de la violence psychiatrique qui touche tant de nos ressortissants. Il me présente les spécialités les plus furieuses de la région : l’omelette aux huîtres, le calamar frit, le pot-au-feu aux encornets, le beignet au porc et… l’incontournable tofu, à mon grand désespoir. Étrangement, quelques pâtisseries s’invitent sur certains stands ; elles sont sûrement moins exquises que leurs consoeurs françaises ; je ne daigne donc pas les goûter, raidi par mon chauvinisme. Mon accompagnateur ajoute plein de zèle :
“Tu peux également te faire tirer les tarots ici, avoir des conseils si tu veux changer de prénom et te faire masser”.
Sécurité apaisante
Le plus frappant à Taïwan, c’est le peu d’actes d’incivilités ; comparativement avec Paris, j’ai l’impression de vivre dans une immense maison de retraite à ciel ouvert. En tout lieu, la sécurité semble être assurée ; non par la présence massive et omniprésente des forces de l’ordre - quoique les caméras peuvent être dissuasives -, mais par une éducation citoyenne en amont, directement au sein de la famille et de l’école, ce qui évite par ricochet beaucoup de débordements. Certains évoquent le taoïsme et le confucianisme comme architectes de la paix sociale. L’atmosphère est par conséquent plus détendue qu’ailleurs. À titre d’exemple, ici, les cas de filles sifflées, suivies ou molestées, les collégiens rackettés sont rarissimes… contrairement à ce que nous connaissons dans notre « doulce » France.
Taïwan est un havre de paix pour la communauté LGBT ; la ministre du numérique, Audrey Tang, est d’ailleurs un transgenre. À Taïwan, personne ne meurt non plus pour un regard de travers ou pour une place de parking. Un chauffeur de taxi local, rentré deux semaines auparavant de la capitale française, me confesse lors d’un trajet : “Paris est une ville magnifique mais elle est infestée de pickpockets (…) Avec mes amis, nous avons joué au chat et à la souris avec des adolescents voleurs aux quatre coin de la ville”. La majorité des Taïwanais connaissant la France que je rencontre me relatent une expérience similaire. On gagnerait à s’en aviser pragmatiquement, sans nous empêtrer dans nos réflexes de sentimentalité politique.
Typhons et tremblements de terre : une menace permanente
À Formose (l’autre nom de Taïwan), les catastrophes naturelles sont récurrentes ; certes, le Japon et les Philippines sont largement plus impactés par ces drames. « Nous devons nous tenir prêts », mettait en garde la présidente Tsai Ing-wen sur Facebook, avant le passage du supertyphon Mangkhut (2018). Ce jour-là, j’essuie de puissantes bourrasques dans la rue ; mon parapluie se retourne sous les coups de vent incessants. Trempé jusqu’aux os, je finis ma course dans un 7/Eleven, une supérette populaire. Un habitant du voisinage me rassure : “Ce n’est rien (…) En 1999, j’ai vécu un tremblement de terre qui a fait plus de 2.000 morts et près de 11.000 blessés. Alors, vous savez…”.
Rappelons que l’île de Taïwan, située au point de rencontre de deux plaques tectoniques, est périodiquement secouée par des tremblements de terre, souvent de faible intensité. J’en ai fait l’expérience à plusieurs reprises, arguant ultérieurement avoir “survécu” à ces désastres. Lorsque l’on est dans un immeuble, les murs vont trembler légèrement quelques secondes, mais rien de plus. A deux ou trois reprises, j’ai tout de même eu des sueurs froides croyant que j’allais mourir enseveli. Chaque seconde me paraissait être une éternité ; j’étais tétanisé, songeant au bilan infâme de ma vie.
Fête de la lune à Taïwan
La fête de la mi-automne (“zhōng qiū jié”, en chinois mandarin) est un rendez-vous incontournable du calendrier taïwanais ; c’est un moment populaire où l’on réunit la famille. Elle est célébrée le jour de l’année où la lune est la plus ronde, le 24 septembre en cette année 2018 ; en raison d’un typhon approchant des côtes, les festivités ont débuté exceptionnellement quelques jours avant. Showhand, une taïwanaise mutine de 25 ans, m’en dit davantage : “Pendant les festivités, on organise des barbecues géants en plein air à travers tout le pays, on mange des gâteaux en forme de lune, les fameux “Yuè bǐng” [littéralement, les gâteau de lune] (…) Bien que ce soit une fête familiale, de plus en plus de jeunes de ma génération la célèbre entre amis”.
À chaque coin de rue, des attroupements se forment devant les entrées aux lanternes lumineuses. Accroupis autour de broches et de grills, les convives se goinfrent placidement. Par moments, un bougre éméché se lance dans un monologue incompréhensible. De multiples légendes circulent autour de cette fête de la lune ; certains font allusion à l’histoire d’un archer adroit qui aurait abattu neuf soleils entourant jadis la Terre… ils avaient rendu les sols arides et menaçaient la population ; une déesse aurait ensuite offert au sauveur un élixir d’immortalité. Ce dernier l’aurait donné à sa femme qui, pour ne pas se le faire voler, l’aurait bu et s’envola sur la lune et y resta bloquée jusqu’à nos jours.
Jérémie Dardy