Risques de crashs et d'accidents d'avions. Air France, la question des failles de sécurité. Chiffres
Article publié le 20/05/2019
Air France est-elle devenue une compagnie d’aviation dangereuse ? C’est la question qu’ébruitent à mi-voix certains experts de terrain. Plus précisément, la compagnie aurait vécu deux périodes noires desquelles elle serait sortie par un renouveau de ses procédures de sécurité.
Premier élément : sur une échelle allant de A à E quant à la sécurité globale des compagnies, Air France a longtemps été classée en catégorie B (sous la catégorie des compagnies les plus sûres) ; elle fut un temps déclassée en catégorie C, puis repositionnée en catégorie B par le site securvol.fr. Naturellement, ces résultats ne correspondent pas à la réputation d’excellence associée à la compagnie naguère. Pourquoi ce décalage ?
Deuxième élément : à l’évidence, un observateur rapide pourrait arguer que ses résultats quant au nombre de crashs aériens se situent dans une moyenne plutôt normale. Certes, mais si l’on tient compte des sommes investies et du poids symbolique d’Air France par rapport aux autres compagnies, ces résultats sont proportionnellement inquiétants selon nombre d’experts. Le pilote Christian Roger, par ailleurs ancien président du SNPL, affirme ceci :
« Après l’avènement des avions à réaction en 1958 avec la Caravelle et le Boeing 707, Air France a connu une série noire dramatique puisqu’en 8 ans, de 1961 à 1969, la compagnie a connu 6 crashs de jets totalement mortels (2 Caravelle et 4 Boeing 707), totalisant 540 morts. Cette avalanche d’accidents n’était pas l’apanage de la Compagnie Nationale puisque les statistiques internationales montraient à cette époque un taux de 30 crashs par million de vols, qui est aujourd’hui de 2, c’est-à-dire 15 fois moins d’accidents que dans les années 60. » (Christian Roger, blog personnel, 2012)
A la suite de ces tragédies, Air France installa un vigoureux protocole de renforcement de sa sécurité : « Les résultats de ces efforts furent spectaculaires puisque, mis à part le crash très particulier d’Habsheim du 26 juin 1988, aucun accident ne fut enregistré entre 1969 et 1993. » (Christian Roger, blog personnel, 2012)
Y a-t-il une cause profonde au malaise Air France quant à la question de la sécurité de ses avions ? Ici, plusieurs hypothèses se superposent :
-Un excès de confiance des pilotes d’Air France est souvent pointé, en raison de leur réputation originelle et du sérieux de la formation des anciens. Depuis, les conditions de formation auraient évolué vers un peu moins de rigueur, mais les pilotes auraient conservé ce surmoi de confiance. Cette hypothèse est plus ou moins avancée par des experts comme François Nénin, auteur d’ouvrages passionnants sur les failles de sécurité dans l’aviation. Ainsi avance-t-il ce témoignage d’un pilote :
« Il faut tuer père et mère pour être viré d’Air France » (Ces avions qui nous font peur, p.265)
-Dans les années 70, un accord a été signé à Air France, que le pilote Christian Roger pointe du doigt :
« L’accord que nous avons signé dans les années 70 de culture non punitive nourrissait des intentions louables : favoriser les déclarations spontanées afin d’enrichir le retour d’expérience, en d’autres termes, que chacun puisse parler de ses erreurs dans l’intérêt de tous. Le problème est que cet accord a été dévoyé » (Source : F. Nénin, Ces avions qui nous font peur, Flammarion, 2013, p.265)
-François Nénin évoque par ailleurs l’explosif rapport Colin, qui aurait été mis sous le tapis dès sa parution, en juin 2006. Ce rapport étant saisissant : « Des faiblesses importantes en termes de formation, d’appropriation réelle et concrète et de capacité d’évaluation, de ces facteurs humains, ont été observés dans la population des pilotes ». Le rapport va plus loin, en pointant « des faiblesses en termes de représentation et de conscience de la situation, de capacités de décision des équipages » (Ibid, p267). Des mauvaises langues pourraient dresser un parallèle avec les tendances comportementales à la SNCF ou à la RATP, jugées trop décontractées.
-Il est aussi question de « surnotations ». A ce titre, en décembre 2007, quatre pilotes-experts de la compagnie publient une lettre sur les failles de sécurité à Air France : « Nous ne sommes pas bons. Pas bons du tout. A titre tant individuel que collectif. Et il est plus que temps de redresser la barre » (François Nénin, ibid, p267)
L’alliance de ces facteurs (culture non-punitive, surnotations tendancielles, comportements quelque peu décontractés de pilotes, minimisation des petits incidents sur certains trajets) aurait généré une baisse générale de la sécurité chez Air France, aboutissant à la tragédie terrible du vol Air France Rio-Paris le 1er juin 2009 (228 morts). Fort heureusement, les crashs d’avions Air France sont rarissimes. Cependant, de nombreux incidents sont chaque année recensés, qui pourraient aboutir à des issues dramatiques à la faveur de certaines circonstances.
Certains de ces incidents pourraient intéresser le quidam : le 15 novembre 2011, un Airbus A340 effectue un vol Paris-Boston. Après l’atterrissage, un employé de maintenance aux Etats-Unis remarque que 34 vis manquent sur le karman (une plaque couvrant l’habillage situé entre l’aile et le fuselage) ; la malfaçon venait de l’atelier chinois de maintenance auquel Air France avait préalablement confié l’avion. Autre anecdote rapportée par François Nénin : un Boeing 747-400 d’Air France avait été immobilisé suite à une malfaçon inquiétante (des parois de l’avion avaient été repeintes avec de la peinture potentiellement inflammable… et l’avion avait volé dans cet état durant trois semaines).
« Dans un compte rendu de rapports d’incidents de 2011, il apparaît que la compagnie enregistre beaucoup trop d’atterrissages durs. Dans un recueil portant sur les incidents ayant eu lieu du 7 mars au 13 mai 2011, nous en avons comptabilisé six : Houston, Bamako, Bordeaux, Amsterdam, Naples… et Caracas » (F. Nénin, ibid, p270)
Malgré tous ces éléments, force est de constater que la compagnie Air France a fini par réagir vigoureusement face à ces indices de laisser-aller. Le choc du crash de 2009 a eu un effet d’électrochoc salutaire. Le management un peu trop coulant a été révisé, les retours d’expérience ont été mieux collectés et analysés.
Sur la question de la sécurité aérienne et de son traitement par la compagnie Air France, il convient donc de ne pas sombrer dans l’hystérie. Les spécialistes de la matière soulignent les efforts effectués depuis quelques années. La vigilance est cependant de mise, considérant le lourd passif. La compagnie réputée la plus sûre au monde n'est pas Air France mais Qantas, une compagnie australienne n’ayant connu aucun crash mortel depuis 60 ans.
Pour aller plus loin:
-Les ouvrages de François Nénin (Ces avions qui nous font peur, etc)
-Les blogs de pilotes (jumboroger.fr, etc)