Les ressources théologiques de la psychologie - Dieu, affects et technologie
Article publié le 11/03/2025
Le réveil du narcissisme clanique dans les sociétés contemporaines fait peser de lourdes menaces sur la concorde civile, et ce qu’il est convenu d’appeler le "vivre-ensemble".
Depuis le deuxième âge des réseaux sociaux, la polarisation des affects s’est renforcée, pulvérisant l’espace public en multiples sous-bastions œdémateux. La souffrance d’être semble avoir explosé au tournant des années 2020, précisément lorsque la technologie numérique est devenue l’horizon indépassable et cependant minimal des sociétés occidentales. Depuis lors, il n’est plus envisageable d’éviter ou de refuser l’appoint des écrans pour régenter son ordinaire.
Nos circuits neuronaux s’en trouvent profondément affectés, à cause des modifications cérébrales impliquées : le recul constant du texte au profit de l’image et de la vidéo finit par atrophier nos capacités de raisonnement, de concentration, en développant jusqu’à la protubérance nos glandes sensitives. Le pullulement des smileys, des gifs et des émojis mignons recouvrent comme une mer de sucre les vieilles étendues de génie accumulé par des siècles d’affinage culturel.
Les conséquences s’avèrent dramatiques pour notre capital humain et, à plus long terme, pour la pérennité des collectivités. Déjà, nos encarts quotidiens s’en font l’écho dans la presse (désormais numérique) : le niveau d’orthographe a chuté drastiquement jusque dans les ministères, le raisonnement logique a fondu au profit des mirages de l’intelligence artificielle vers laquelle on se rue aveuglément. Nicolas Houguet prévenait il y a peu :
« Le vrai problème de l’IA, c’est notre manière de tout lui abandonner sans bien savoir comment elle fonctionne ni qui la contrôle » (Blast, 1er février 2025)
Déjà, des professeurs de Sorbonne prétendent la faire travailler à leur place pour élaborer leurs cours (et surtout soulager leur emploi du temps). Une incroyable légèreté collective s’étale face à son emprise à venir sur nos propres consciences. Nous abdiquons à la technologie notre propre sens critique, égarés par le fantasme transhumaniste.
Il s’agit-là d’un rêve métaphysique irresponsable : Dieu s’est liquéfié dans nos courants électriques et le Saint Esprit jaillirait de nos ondes Wifi pour nous guider sur les chemins d’une Genèse retrouvée. Ce faisant, nous revenons à rebours sur les chemins d’une histoire sainte qui devient cauchemardesque : c’est Ahraham qu’Isaac s’apprête à sacrifier, et Noé qui sera englouti sous le déluge au profit de l’ancienne humanité, celle d’avant les lois.
Nous nous organisons déjà en groupes et réseaux d’inclinations communes (spirituelles, ethniques, sexuelles, etc), dépeçant le rêve humaniste et universaliste lambeau par lambeau. De fausses conceptions écologistes y encouragent, prônant une décroissance brutale au profit du retour de la tente et des feux de bois. Nous y gagnerons une lutte exacerbée de chacun pour un morceau de confort lorsque toutes nos avancées matérielles durement acquises seront vérolées de l’intérieur. Certes, le voile intégral est incompatible avec le réchauffement climatique, selon l’adage du plaisantin. Mais les temps à venir ne sont pas engageants…
Dans ce contexte d’apocalypse (schématiquement dressé, n’exagérons rien pour le moment), il semble nécessaire de réagir. La ressource de la théologie pourrait s’évérer très utile face aux lacunes du raisonnement contemporain. Non pas pour renvoyer les masses sous les clochers, mais plutôt pour offrir de nouveaux concepts opératoires face aux dérives de la violence contemporaine. Entre mille exemples, prenons la fameuse déconstruction de la vérité, plus que jamais avancée.
Ci-dessous l’un des extraits savoureux de l’excellent "Raisons de Dieu, preuves de l’Eglise : Encyclopédie apologétique", un gros ouvrage offrant de très nombreux arguments face aux dérives nihilistes (notamment sur le plan spirituel) :
Chacun a sa vérité ?
Non, chacun a son opinion, ce qui est légèrement différent ! Celui qui confond le chien et le chat a-t-il sa vérité ? Le daltonien qui voit rouge au lieu de vert a-t-il sa vérité ou n'a-t-il pas plutôt un problème de vue ? Au fond, la vérité est-elle privatisable ? Les fake news découlent logiquement de cette fausse évidence : « chacun a sa vérité ».
Au travers d’une anecdote glaçante, le père Timothy Radcliffe a pointé la dangerosité invisible du concept « chacun a sa vérité » : «Un jour, à Londres, un chauffeur de taxi m’a fait une remarque raciste ; je lui ai dit que ce n’était pas vrai ; "Que voulez-vous dire, pas vrai ? C’est mon avis !" » (Radcliffe, Pourquoi donc être chrétien, Cerf, 2005, p.165)
Extrait de : "Raisons de Dieu, preuves de l’Eglise : Encyclopédie apologétique"
Pierre-André Bizien