Les précurseurs français de la théologie de la libération - Citations. Congar, Cardonnel, Chenu, Lebret...
Article publié le 06/06/2019
La théologie de la libération latino-américaine n’est pas née de rien. Camilo Torres, Gustavo Gutiérrez, Leonardo Boff, Rubem Alves et la plupart des fondateurs du mouvement ont été formés en Europe. De l’aveu de la plupart, ce sont surtout des théologiens français qui les ont initialement inspirés quant à leur combat pour la justice sociale sacrée envers les damnés de la terre. Parmi ces penseurs, prêtres et théologiens français initiateurs indirects de la théologie de la libération, nous pouvons citer cinq noms. Cardonnel, Congar, Maritain, Mounier, Lebret, Chenu.
Le père Camilo Torres, qui mourra les armes à la main en février 1966, a été tué avant Che Guevara lui-même. Il reconnaissait avoir été inspiré intellectuellement lors de ses études à Paris, par l’abbé belge François Houtart (Cf. Yves Chiron, L’Eglise dans la tourmente de 1968).
Jean Cardonnel (1921-2009)
Prêtre rouge écarlate, dominicain, adversaire de toute obéissance, encenseur de la Chine de Mao dans les années 70 ; il s’autoproclamait libertaire, ne récusait pas l’activisme violent, critiquait le pacifisme idéologique, et rejetait tout marqueur extérieur chrétien. Il poursuivit sa logique jusqu’à porter plainte, à la fin de sa vie, contre son propre monastère... et gagna son procès !
Citations :
« Une révolution ne se mesure pas à la violence qu’elle déploie, mais à la profondeur des racines qu’elle atteint » (Jean Cardonnel, cité dans Chiron, L’Eglise dans la tourmente de 1968, Artège, p.27)
« Un chrétien conservateur est une contradiction dans les termes » (Jean Cardonnel, cité dans Chiron, L’Eglise dans la tourmente de 1968, Artège, p.27)
« La mort, y passer d’accord, y rester jamais ! » (Oeuvre)
"Je crois qu'on ne pêche que par défaut ; on ne peut jamais aller trop loin" (Jean Cardonnel, Radioscopie, 1975)
« On a du génie en fonction de celui qu’on découvre dans les autres » (Jean Cardonnel, Radioscopie, 1975)
Emmanuel Mounier (1905-1950)
Fondateur de la Revue Esprit et du courant personnaliste, Mounier est le chrétien de gauche par excellence. Incomparablement plus fin qu’un Cardonnel ou qu’un Gayot, il ne sombre jamais dans l’angélisme. Son objectif est de "désolidariser le spirituel du réactionnaire" ; être chrétien c’est donc être révolté, c’est en finir avec le capitalisme, sans sacrifier la transcendance au sentiment social. Il s’agit de détruire le christianisme mondain, son cortège de suavités… en bref, la chrétienté sociologique. Pour ce faire, il faut réhabiliter la force, l’une des quatre vertus cardinales du dogme catholique.
Citations :
« Celui qui n’a jamais connu la brusque envie de tuer n’a que des vues bien abstraites sur le pardon chrétien» (Emmanuel Mounier, L’affrontement chrétien)
« Dieu n’est pas expressionniste. Il n’a pas le goût du malheur» (Emmanuel Mounier, la Petite Peur du XXe siècle)
« Tout ordre nouveau est en puissance un ordre établi» (Emmanuel Mounier, Feu la chrétienté)
« Le marxisme porte en lui quelque justice, mais seulement jusqu’à ce qu’il triomphe» (Prospectus de lancement d’Esprit)
«Les grandes religions cheminent sur les mêmes itinéraires que les grandes épidémies» (Le personnalisme)
« Que l’homme de nom chrétien ne compte pas sur ses titres historiques : ils sont ternis de mauvais souvenirs, et les parchemins sont un fragile argument en pleine bataille» (L’engagement de la foi)
Yves Congar (1904-1995)
Le père Yves Congar, fut un dominicain très engagé dans l’œcuménisme (rapprochement des différentes confessions chrétiennes entre elles). Porté à gauche par tempérament, il critiquait cependant le gauchisme. Pendant mai 68, il refusa de s’opposer aux excès des étudiants par peur de passer pour un vieux « réac ».
Il reste le théologien qui aura su expliquer pourquoi l’évolution des dogmes est tout à fait légitime: dans les Evangiles, Pierre et les apôtres comprennent toujours après-coup la parole de Jésus. Aussi, l’Eglise prend conscience progressivement de la Parole qu’elle vénère. De même que la Révélation se manifeste progressivement dans l’histoire, le dogme s’explicite par paliers successifs. Certes, comme l’affirment les protestants, tout le dogme est contenu dans l’Ecriture. Mais ce dogme doit être explicité progressivement ; c’est le travail de la tradition qui, comme Pierre, peut s’illusionner ponctuellement puis se corriger après coup.
Citations :
« Un salut, cela peut se manquer » (Yves Congar, Vaste monde, ma paroisse)
Marie-Dominique Chenu (1895-1990)
Grand théologien dominicain ; conjointement "progressiste" et néothomiste, le père Chenu frôle le crime symbolique auprès des antiquaires de l’étiquette. Pour certaines consciences en effet, un prélat "social" ne saurait éprouver la moindre empathie pour Saint Thomas d’Aquin, le grand docteur officiel de l’Eglise d’autrefois. Il en a pourtant bien fallu à l’époque, de la subversion, pour passer la foi au crible de la raison païenne d’Aristote…
Citations :
«Les solutions simples ont toute chance d’être des solutions fausses. La tyrannie aussi est plus simple que la liberté» (La liberté dans la foi)
«Un christianisme de pure obéissance est vaincu d’avance» (La liberté dans la foi)
«On ne possède que ce qu’on a donné» (La liberté dans la foi)
«Que l’homme soit davantage homme et Dieu sera davantage Dieu» (La liberté dans la foi)
Le père Louis-Joseph Lebret (1897-1966)
Prêtre dominicain, breton, ancien officier de marine. Il utilisa les questions économiques avec audace et s’employa au côté des pauvres pour la justice sociale.
Citation :
« Le pire n’est pas la misère du pauvre, mais l’indifférence des nantis» (Cité dans Le bonheur d’être homme)
Jacques Maritain (1882-1973)
Grand philosophe catholique philosémite, ancien ambassadeur de France au Vatican. Maritain n’eut de cesse de démontrer la compatibilité de la raison et de la foi ; plus précisément, il consacra son œuvre à la réhabilitation de la scolastique médiévale, tout en dénigrant les excès scientistes et technicistes du XXe siècle. Anticipant l’horreur des totalitarismes athées, il encouragea l’avènement d’un humanisme intégral, expression d’une nouvelle chrétienté porteuse de lumières et de progrès. L’écho de ses travaux fut mondial.
Citations :
« Perdre ou gagner avec des armes pures, c’est toujours gagner » (Religion et culture)
«To get together, c’est la seule recette de salut pour les âmes vides» (De l’Eglise du Christ)
Pierre-André Bizien
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