Le secret littéraire d'Hercule Poirot - Analyse et réflexion
Article publié le 30/01/2021
(Article de Magali Fighiera)
De sa première enquête, parue en 1921, jusqu’à sa sa dernière, le célébrissime détective belge est le personnage principal ou secondaire de 33 romans, de 56 nouvelles et d’une pièce de théâtre («Black Coffee»).
« Hercule Poirot ! »
L’évocation de ce nom fait tout de suite surgir l’image d’une petite silhouette bedonnante, affublée d’énormes moustaches et de ses fameuses « petites cellules grises ».
Son auteur, Agatha Christie en a dressé un portrait assez complet. C’est sur le physique de son héros mais avant tout sur sa psychologie et son caractère qu’elle insiste. Seule sa biographie est peu fournie, comme si l’homme disparaissait derrière sa fonction de détective.
1. Le physique
Le physique particulier d’Hercule Poirot est le premier élément que l’on retient du personnage.
Nous savons qu’il n’est plus de première jeunesse sans savoir son âge exact.
Petite silhouette enrobée à l’allure de dandy, il a les cheveux d’un noir suspect ainsi que d’impressionnantes moustaches dont il prend grand soin.
Sa tête ovale est souvent comparée à un œuf ou un pain de sucre.
A sa vue, les gens qui le croisent lui trouvent souvent un aspect comique, presque ridicule « une caricature française de music-hall . »
Son ami, le capitaine Hastings , nous en brosse un portrait précis dans « Le crime du Golf » : « Taille : un mètre soixante environ ; tête ovale, un peu penchée de côté ; yeux qui jetaient des reflets verdâtres lorsqu’il était excité, moustache militaire très raide ; un air d’une impressionnante dignité.»
Toujours très soigné et soucieux de son apparence, on apprend, lors de sa dernière enquête à Styles , qu’après s’être teint les cheveux, le détective portait une perruque sur ses vieux jours. Son état physique se dégrade également puisqu’il est perclus d’arthrite et a perdu beaucoup de poids.
Si son apparence peut paraître ridicule, c’est peut-être pour mieux masquer la formidable intelligence qui lui permet de résoudre pratiquement toutes les énigmes.
2. Le caractère
Après son aspect physique, ce sont ses célèbres « petites cellules grises » qui caractérisent Hercule Poirot.
En effet, si Sherlock Holmes recherche avant tout des indices matériels tels des mégots de cigarette ou des empreintes, Poirot, lui, préfère observer, écouter et raisonner : « Je réfléchis… Je réfléchis énormément. Pour ce qui est de courir à droite et à gauche et faire des enquêtes, non merci. A d’autres. Cela ne convient guère à mon âge, mon tempérament et ma silhouette. » Il insiste sur sa méthode « Le travail véritable s’accomplit en dedans. Les petites cellules grises. Mon ami, n’oubliez pas les petites cellules grises ! » En cela, il ressemble à sa consœur, Miss Marple qui, bien souvent, résout des enquêtes tout en restant assise dans son fauteuil avec son tricot, si ce n’est qu’en ce qui concerne le détective belge, ce serait plutôt en construisant des châteaux de cartes, comme dans « Drame en trois actes ».
Très ordonné dans ses idées, il l’est aussi dans la vie. Maniaque, il aime que tout soit rangé à sa place, ce qui lui permet même de résoudre une affaire dans « La mystérieuse affaire de Styles » . En effet, c’est en réalignant des objets sur une cheminée qu’il découvre un indice décisif dans son enquête.
Son valet Georges, ainsi que sa secrétaire, Miss Lemon, contribuent à l’ordonnance de son existence.
Il aime également les formes géométriques, particulièrement carrées comme la façon dont il découpe ses tartines.
C’est parce que Resthaven, sa maison de campagne, a la forme d’un cube qu’il s’y installe .
Hercule Poirot est également un vieux garçon qui aime le confort ( pour lui rien ne vaut le chauffage central ! ) et prend grand soin de sa personne : « Poirot, cependant, ne prît aucun risque. Sur un gilet de laine, il enfila un gros pardessus, un imperméable et s’enroula le cou dans deux cache-nez. De plus, il portait son costume d’hiver. Avant de sortir, Il avala deux cachets d’antigrippine et en glissa une dose supplémentaire parmi ses affaires ».
On sait également qu’il est sujet au mal de mer («La malédiction du tombeau égyptien» , «Enigme en mer»).
Une autre caractéristique du personnage, est la haute opinion qu’il a de lui-même. A plusieurs reprises ( «Le train bleu», « Cinq petits cochons», «Une mémoire d’éléphant», «La maison du péril»), il se présente comme « le plus grand détective du monde » !
Son orgueil est tel qu’il peut même lui arriver d’être blessant avec ses proches : « Il s’en est fallu d’un cheveu ! Sans son regard rapide, sans ses yeux de lynx, Hercule Poirot, en ce moment, ne serait peut-être plus de ce monde ! Quel désastre pour l’humanité ! Sans parler de vous, Hastings ! Qu’auriez-vous fait sans moi dans la vie, mon pauvre ami ? Je vous félicite de m’avoir encore à vos côtés ! Vous-même d’ailleurs, auriez pu être tué. Mais cela, au moins, ce ne serait pas un deuil international » !
Son côté économe peut parfois friser la radinerie: « Son sens tout latin de l’économie en avait été blessé. Louer une voiture ? Mais il possédait déjà une voiture, une grosse voiture, une voiture très chère. »
Il semble également qu’il n’ait pas fait de grandes études, ce qu’il semble regretter : « Et Poirot, qui l’observait, fut soudain saisi d’un doute - une sorte de sourd remords. Y avait-il là quelque chose qu’il avait manqué? Une certaine richesse de l’esprit? Une tristesse diffuse s’empara de lui. Oui, il aurait dû découvrir les classiques. Et depuis bien longtemps.Maintenant, hélas, il était trop tard... »
Le détective a un autre défaut, bien plus sympathique, celui-là, c’est sa gourmandise. Il aime les sucreries ( brioches, croissants et liqueur ... ). Nous savons que sa boisson favorite est le chocolat chaud. Peut-être est-ce dû à ses origines belges ?
Bon vivant, il invite souvent ses connaissances au restaurant, comme l’inspecteur français Fournier dans « La mort dans les nuages » :
« Venez, mon vieux. Mon estomac crie famine. Allons prendre un repas simple, mais substantiel. Je propose une omelette aux champignons, une sole normande, un port-salut, le tout arrosé de vin rouge ».
Il peut faire preuve d’un certain humour et joue parfois de son aspect exotique et naïf qu’il accentue afin d’endormir la méfiance de ses interlocuteurs pour leur permettre de se confier plus facilement.
Hercule Poirot est également sensible aux charmes féminins. Il est galant aussi bien avec les jeunes filles qu’avec les vieilles demoiselles. C’est ainsi qu’il laisse la possibilité à Jacqueline de Bellefort de se suicider, car il a une certaine affection pour elle.
Bien souvent, il demande à ses interlocutrices de faire confiance à « Papa Poirot », comme il aime se nommer.
Le détective Belge est avant tout quelqu’un de moral et de droit. A plusieurs reprises, il insiste sur le fait qu’il « n’approuve pas le meurtre ». C’est pour cette raison, qu’au moment de mourir, alors qu’il s’est substitué à la justice, il éprouve des doutes « Je ne sais Hastings, si ce que j’ai fait est légitime ou non. Je ne le sais vraiment pas. »
S’il trouve toujours la clef de l’énigme, il est néanmoins souvent accompagné, lors de ses enquêtes, de différents collaborateurs. Nous retrouvons régulièrement le capitaine Arthur Hastings, l’inspecteur Japp et la romancière Ariadne Oliver. Parfois maladroit, moqueur, agacé ou dédaigneux à leur égard, il reste fidèle à leur amitié. D’ailleurs, Poirot fait un véritable éloge de son ami Hastings dans « Le meurtre de Roger Ackroyd » :
« Chaque fois que j’avais un cas sérieux il était auprès de moi et il m’a aidé, oui, il m’a aidé souvent. Il avait le don de découvrir la vérité, sans s’en rendre compte lui-même, bien entendu. Il faisait parfois une réflexion saugrenue... qui m’apportait une révélation».
D’ailleurs, le capitaine apparaît dans la première ainsi que dans la dernière enquête de Poirot, à Styles.
3. La biographie
Si l’aspect psychologique du célèbre détective est très bien décrit à travers l’ensemble de ses enquêtes, il n’en va pas de même en ce qui concerne sa biographie.
En effet, on sait peu de chose sur la situation personnelle et familiale de Poirot.
Déjà, il y a peu de dates dans l’oeuvre d’Agatha Christie; parfois une référence à la guerre (première et deuxième guerres mondiales) .
S’il a pris sa retraite lorsqu’il vivait encore en Belgique, on peut supposer qu’il n’est pas tout jeune lors de son arrivée en Angleterre. Mais nous ne saurons jamais son âge réel. C’est un peu comme s’il était intemporel. Qu’importe son âge, c’est ce qu’il est et la façon dont il résout les énigmes qui importe.
Nous ne savons rien de son origine familiale. Il ne se livre jamais à propos de son passé intime, à l’exception d’une fois où il se confie à Mr. Satterthwaite : « J’ai eu une enfance pauvre. A la maison, nous étions malheureux et nous dûmes gagner notre vie de bonne heure. J’entrai dans la police. A force de travail, j’ai peu à peu monté en grade. Je commençai par me créer une réputation parmi mes collègues et bientôt mon nom devint célèbre, même à l’étranger. Enfin l’heure de la retraite sonna pour moi. Puis vint la Grande Guerre. Le coeur meurtri, je dus me réfugier en Angleterre, où une brave dame m’offrit l’hospitalité. »
Nous savons également qu’il porte une montre ayant appartenu à son grand-père et qui est « grosse comme un navet » .
Il est très fier de son pays natal et lorsque ses (nombreux) interlocuteurs le qualifient de « Français », Poirot les reprend systématiquement en précisant qu’il est Belge.
Réfugié en Angleterre, comme beaucoup de ses compatriotes, c’est là qu’il va commencer une deuxième vie, une seconde carrière.
La première enquête où le détective apparaît se passe à Styles Sainte Mary. C’est également dans ce lieu qu’il meurt et sera enterré.
En ce qui concerne son domicile, on lui connaît deux adresses à Londres: « 14 Farraway Street » et « Whitehaven Mansions » en 1935. On sait aussi qu’il habite une maison de campagne,
« Resthaven » dans « Le Vallon » et qu’il s’installe aux « Mélèzes », à King’s Abbot, lorsqu’il décide de prendre sa retraite. C’est là qu’il résout le meurtre de Roger Ackroyd.
En ce qui concerne sa vie privée, Hercule Poirot est l’image même de l’éternel célibataire.
Il évoque une fois un amour de jeunesse: « Autrefois, mademoiselle, j’ai été amoureux d’une jeune fille anglaise d’une très grande beauté et qui vous ressemblait d’ailleurs beaucoup... mais hélas!, elle ne savait pas cuisiner. Aussi n’ai-je sans doute pas trop de regrets à avoir.
Il y avait une légère tristesse dans sa voix (...) ».
Nous ne savons pas si cette confidence est réelle ou bien s’il l’a inventé (comme il s’invente un frère, Achille, dans « Les Quatre») afin de mieux endormir la méfiance de ses interlocuteurs.
S’il est toujours très galant et prévenant envers les dames et les demoiselles, la seule femme pour laquelle il éprouve une attirance certaine est la comtesse russe Vera Rossakov, qu’il rencontre dans « Le double indice » in « Nouvelles complètes » et que l’on retrouve dans « Les Quatre » et, plusieurs années plus tard dans « La capture de Cerbère » in « Les écuries d’Augias »: « Poirot n’avait jamais pu se défaire de la fascination que la comtesse exerçait sur lui. Vingt ans au moins qu’il ne l’avait revue et la magie demeurait. La femme qu’elle était se dissimulait à présent sous un maquillage évoquant un coucher de soleil de théâtre mais, pour Hercule Poirot, elle restait la Femme, l’Allure! ».
Ce béguin du détective est d’autant plus ironique que la comtesse est une voleuse de bijoux !
En ce qui concerne ses amis et ses proches, en revanche, Agatha Christie nous offre plus d’informations.
Celui qui est son ami le plus proche est le capitaine Arthur Hastings. Il apparaît pour la première fois dans « La mystérieuse affaire de Styles » puis dans 7 autres romans et 23 nouvelles et apporte son aide au détective, souvent malgré lui: « Comme mon ami Hastings me manque! Il avait tant d’imagination! Un esprit si romanesque! il est vrai qu’il imaginait toujours tout de travers, mais ce fait en lui-même m’était un guide précieux ».
Le capitaine rencontre sa femme en France, lorsqu’il enquête avec Poirot sur « Le crime du golf ». Il part ensuite s’installer dans un ranch en Argentine. Il revient régulièrement en Angleterre et participe aux activités du détective.
Autre ami fidèle, le commissaire James Japp, de Scotland Yard, que Poirot a rencontré alors qu’il vivait encore en Belgique, lors d’une enquête. Il est présent dans sept romans, dix nouvelles et dans la pièce de théâtre « Black Coffee ».
La romancière Ariadne Oliver qui écrit des ouvrages policiers dont le héros est un détective finlandais du nom de Sven Hjerson apparaît quant à elle dans six romans. Grande amatrice de pommes, originale et désordonnée, elle forme un contraste assez amusant avec Poirot.
Enfin, il y a George, le valet fidèle qui accompagnera le détective jusqu’à sa mort et Miss Lemon que l’on retrouve également à plusieurs reprises: « Grâce à George, son parfait valet, et à Miss Lemon, sa parfaite secrétaire, l’ordre et la méthode gouvernaient son existence ».
Conclusion
Si la relation de l’enquêteur avec son auteur a duré de 1920 à 1975, Agatha Christie était parfois agacée par son héros : « Nous sommes amis et partenaires. Je lui dois beaucoup financièrement. D’un autre côté, il me doit l’existence même. Dans les moments d’irritation intense, je fais remarquer que, de quelques traits de plume - ou de frappe sur les touches de la machine à écrire - , je pourrais le détruire entièrement ».
Entré dans la postérité, le détective belge a même eu droit, le 6 août 1975, a une nécrologie dans un article du New York Times, intitulé « Hercule Poirot, le célèbre détective belge est mort ».
Avec Hercule Poirot, Agatha Christie a créé un personnage original, qui figure en bonne place parmi les plus grands détectives de la littérature, et dont le nom est aussi célèbre que celui de Sherlock Holmes.
Magali FIGHIERA
Bibliographie
A. B. C. contre Poirot, traduction de Louis Postif ; 1950 ; Librairie des Champs-Elysées
Black coffee , adaptation de Charles Osborne , traduction de Jean-Michel Alamagny ; 2001 ; Editions du Masque
Cartes sur tables , traduction de Louis Postif ; 1939 ; Librairie des Champs-Elysées
Cinq petits cochons , traduction de Michel Le Houbie ; 1947 ; Club des Masques , Librairie des Champs-Elysées
Le crime du golf , traduction de Marc Logé ; 1932 ; Librairie des Champs-Elysées
Drame en trois actes , traduction de Louis Postif ; 1949 ; Librairie des Champs-Elysées
Les écuries d’Augias , traduction de Monique Thies ; 1975 ; Club des Masques
Hercule Poirot ; Nouvelles complètes , 2014 ; Editions du Masque
La maison du péril , traduction de Louis Postif ; 1934 ; Librairie des Champs-Elysées
Une mémoire d’éléphant , traduction de Jean-André Rey , 1972 ; Librairie des Champs-Elysées
Le meurtre de Roger Ackroyd , traduction de Miriam Dou-Desportes ; 1977 ; Club des Masques
La mort dans les nuages , traduction de Louis Postif ; 1962 ; Librairie des Champs-Elysées
Mort sur le Nil , traduction de Louis Postif ; 1944 ; Librairie des Champs-Elysées
La mystérieuse affaire de Styles , traduction de Marc Logé ; 1932 ; Librairie des Champs-Elysées
Pension Vanilos , traduction de Michel Le Houbie ; 1956 ; Librairie des Champs-Elysées
Les petites cellules grises. Les meilleures citations de Poirot , rassemblées par David Brawn ; 2016 Livre de Poche
Poirot joue le jeu , traduction de Miriam Dou ; 1957 ; Librairie des Champs-Elysées
Poirot quitte la scène , traduction de Jean-André Rey ; 1976 ; Librairie des Champs-Elysées
Les Quatre , traduction de Xavier Roux ; 1967 ; Librairie des Champs-Elysées
Rendez-vous avec la mort , traduction de Louis Postif ; 1952 ; Librairie des Champs-Elysées
Témoin à charge , traduction de Monique Thies ; 1969 ; Librairie des Champs-Elysées
Le Train bleu , traduction de Louis Postif ; 1947 ; Club des Masques Librairie des Champs-Elysées
Le vallon , traduction de Michel Le Houbie ; 1948 ; Librairie des Champs-Elysées
Notes:
1. « Poirot joue le jeu » p.112
2. « Le crime du golf »p.14
3. « Poirot quitte la scène »
4. « Cartes sur table » p.93
5. « Le crime du golf » p.15
6. « Drame en trois actes » p.153
7. « Le Vallon » p.94-95
8. « Double manœuvre » in « Témoin à charge » p.88
9. « Les Quatre » p.70
10. « La biche aux pieds d’airain» in «Nouvelles complètes » p.839
11. « Les Travaux d’Hercule-Prologue» in «Nouvelles complètes » p.784
12. « La mort dans les nuages » p.80
13. « Mort sur le Nil » p.253
14. « Poirot quitte la scène » p.260
15. « Le meurtre de Roger Ackroyd » p.281
16.« Drame en trois actes » p.44
17. « Rendez-vous avec la mort» p.133
18. « Les Quatre » p.13
19. « ABC» p.99
20. « L’appartement du troisième» in «Nouvelles complètes » p.487
21. « La capture de Cerbère» in «Les écuries d’Augias » p.158
22.« Comment poussent vos fleurs?» in «Nouvelles complètes» p.623
23. « Pension Vanilos » p.1
24. « Les petites cellules grises. Les meilleures citations de Poirot » p.159