Le leadership asiatique en entreprise - forces et faiblesses

Article publié le 14/06/2024

Chuc mung nam moi ! Bonne année à tous !


A l’occasion du Nouvel An vietnamien, prenons un petit risque : interrogeons-nous sur le fameux leadership asiatique, ses recettes et ses secrets. Quelles différences avec nos méthodes de management, nos usages collaboratifs et notre manière de gérer les crises ?

 


Commençons à partir du "logiciel" vietnamien, que je connais un peu. Ce n’est un secret pour personne, le conformisme, la discipline et le travail acharné constituaient les valeurs cardinales jusqu’à ces dernières années : tout parent vietnamien qui se respectait rêvait que ses enfants décrochent un diplôme de médecin, de notaire ou d’avocat. Hors de cette trinité, point de salut… L’affaire était entendue à ce point qu’un ami me racontait dernièrement ce curieux événement :


Parti quelques jours à Saïgon pour affaires, il conseille à un étudiant bon en mathématiques de tenter une école de Commerce. Réponse de l’intéressé :


“Mais je n’ai pas envie de diriger une épicerie !”


Au-delà de la plaisante anecdote, on saisit à quel point le concept de réussite et les moyens reconnus pour y prétendre sont stéréotypés au Vietnam. Certes, les temps changent et beaucoup de jeunes actifs se sont émancipés des rêves de leurs parents. Mais un fond de discipline extrême, hérité de la culture confucéenne, maintient les carrières dans les eaux du raisonnable.


En 1627, le grand jésuite Alexandre de Rhodes observait l’époustouflante vaillance au combat des Vietnamiens du Sud, qu’il assurait moins orgueilleux que les Chinois. C’est que les valeurs de discipline au Vietnam culminent dans les standards mondiaux depuis plus longtemps qu’on ne l’imagine. Ce sens de l’effort, de la répétition perfectionniste et de la minutie ont permis à ce peuple de vaincre la plus grande armée du monde, il y a quelques décennies. Mais ces titres de gloire ont aujourd’hui quelques écailles aux entournures… Le progrès, de nos jours, passe par d’autres types d’apprentissages.


La prise de risque, l’impétuosité, la "disruption" ne sont pas des valeurs prônées dans le leadership asiatique. Il est plutôt question de travail acharné, d’un sens très profond des hiérarchies et d’une persévérance à toute épreuve, envers et contre tout. Ceci, quoi qu’en coûtent les répercussions sur la vie privée, l’épanouissement hors du travail, et le développement affectif.


Ce modèle que j’expose n’est bien entendu qu’une tendance et non une série de vérités perpétuelles. Il n’empêche : le leadership d’inspiration asiatique est nourri d’une culture de l’implicite et des convenances qui favorise certaines rigidités corporatives, empêche de « crever l’abcès » lorsqu’un non-dit plane dans l’équipe… L’impératif étant de ne jamais perdre la face, le salarié élevé dans le modèle asiatique aura tendance à ne jamais dire "non" à un supérieur, même s’il ne comprend pas ce qu’on lui demande. Conséquence : des cascades potentielles de malentendus, et des situations qui s’enveniment en interne faute d’espace franc de discussion.


S’il fallait grossir au maximum le défaut dans la cuirasse du leadership asiatique, nous pourrions citer le mot du poète Georges Braque :


« Certains mourraient de soif entre une carafe d’eau et une tasse de café »


L’ingéniosité étonnante de l’esprit asiatique est souvent bloquée par certaines autocensures et des tabous qui verrouillent l’efficacité, et la capacité d’émettre des schémas révolutionnaires dans l’entreprise.


Prenons le cas édifiant d’Nguyen Phung Phong, vainqueur du championnat mondial de mémoire en 2016. L’année précédente, il était parvenu à mémoriser 500 chiffres – 50 numéros de téléphone – en 15 minutes ! De telles prouesses mentales, valorisées à l’extrême en Asie, ne suffisent pas aux standards de la réussite collective pour le XXIe siècle. Aux prouesses des machines, notre valeur ajoutée d’êtres humains diffère : nous avons besoin de soft skills, de savoir-être en entreprise, au-delà des attendus d’une discipline scolaire : de la souplesse, de la rondeur, des prises de décision intuitives, une forte intelligence collective.


Mais à l’inverse, nos standards occidentaux manquent aujourd’hui de rigueur, et le fameux directness des Danois ne suffit pas pour un leadership vraiment solide. L’idéal serait un mariage intelligent du modèle asiatique avec le modèle occidental. Un mariage qui n’a rien d’évident par ailleurs… La grammaire du sens et de la bienveillance, offerte à tous les échelons de l’entreprise, sans oublier les valeurs de la vulnérabilité :


-observation minutieuse, qui permet d’éprouver ce qu’un manager lambda ignorerait jusqu’à la crise.


-acceptation de ne pas tout contrôler, subsidiarité intelligente, capacité à faire comprendre que tu as besoin de l’autre pour être à ton maximum.

 

Olivier Truong

Conférencier en management, accompagnateur de dirigeants

 

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