La pensée de Jean Vanier, chrétien auprès des handicapés. Citations, oeuvre, l'Arche
Article publié le 04/06/2019
« C’est à travers nos propres désirs que Dieu se révèle à nous » (Jean Vanier, Croire ou ne pas croire, 2000)
Ancien marin de nationalité canadienne, fondateur de l'Arche – une structure internationale d'accueil pour les handicapés – Jean Vanier (1928-2019) est de ces personnalités qui ont su toucher le cœur universel.
Au-delà des éléments biographiques édifiants, quelles leçons pouvons-nous retenir de ce grand homme ? Quelques points majeurs peuvent ici être mentionnés :
1- Il faut éviter la « compulsion de succès ». Jean Vanier est très clair sur ce point. La course à la respectabilité génère un déficit collectif d’attention à nos vulnérabilités communes. Ainsi :
« Dieu choisit ce qu'il y a de faible, de malade, de fou dans le monde pour confondre les puissants. Le faible ne touche pas notre intelligence mais notre cœur » (Citation Jean Vanier, Croire ou ne pas croire, 2000)
Ou encore :
« Quand on raconte ses prouesses et ses succès, on est admiré. Par contre, quand on partage ses limites, ses fragilités, ses torts et ses difficultés, on suscite la compassion. L’humilité attire et crée la communion. » (Jean Vanier, Toute personne est une histoire sacrée)
Jean Vanier remarque que le faible ne touche pas notre intelligence mais notre cœur. Nous pourrions tenter de prolonger ici sa pensée : dans l’Evangile, Jésus s’agace souvent gentiment contre ses disciples, qui semblent peu alertes spirituellement. Au-delà de l’alternative intelligence/cœur, il y a l’intelligence du cœur. Qu’est-ce que l’intelligence du cœur ? Une éducation des sentiments, une logique du cœur que l’on laisse trop souvent en jachère dans nos sociétés. Ici, Jean Vanier induit que nous gagnerions à travailler notre cœur comme nous travaillons notre esprit. Cette activité révolutionnerait notre personnalité.
2- « Prier, c'est d'abord se mettre à l'écoute de Dieu, à l'écoute de sa volonté dans nos vies (...). Il ne s'agit pas d'abord de parler à Dieu, mais de Lui faire confiance, de s'en remettre à Lui » (Croire ou ne pas croire, 2000)
Deuxième leçon capitale de Jean Vanier. Nous véhiculons un contresens sur la prière depuis des siècles. Dieu sait ce que nous désirons au plus profond de nous-mêmes. Peut-être qu’avant de Lui demander telle ou telle chose, il conviendrait d’élucider en notre for intérieur ce que nous désirons réellement, au-delà de la pulsion ou du consumérisme spirituel. Un savant musulman – Ibn Ata Allah – écrivait un peu rudement : « Adresser une demande à Dieu, c’est douter de Lui » (Hikam). Sans aller jusque-là, nous tirerions bénéfice à inclure dans notre prière cette fameuse demande « Non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux ». Cette nouvelle manière d’orienter sa prière permettra de renouveler notre personnalité dans le sens de la disponibilité.
« Notre désir le plus profond, le plus essentiel, c'est le désir même de Jésus pour nous » (Jean Vanier, Croire ou ne pas croire, 2000)
3- Troisième leçon de Jean Vanier à méditer, et que nous pouvons explorer, prolonger : notre définition inconsciente de Dieu est erronée et entraîne une suite de malentendus spirituels. A terme, ceux-ci peuvent aboutir à la défiance vis-à-vis de Dieu. Pourquoi ? Parce que si l’on part de l’idée d’un Dieu tout puissant, le spectacle de la vulnérabilité en ce monde résonne comme une négation de l’existence de Dieu, de son pouvoir, de ce qu’Il est. En vérité, Dieu est effectivement tout puissant mais il dépose cette propriété suprême par quelque chose de plus suprême encore, l’Amour. L’on comprend donc que puisque l’Amour est plus puissant que la toute-puissance, celle-ci est un abus de langage ; étant l’Amour, Dieu n’a pas "besoin" d’être tout-puissant au sens sanguin du terme.
Le mystère du handicap et des personnes vulnérables en ce monde nous révèle cette vérité profonde. Bien comprise, elle est une réponse absolue à la fameuse objection athée contre l’existence de Dieu : s’il est tout puissant, pourquoi laisse-t-il la souffrance enfoncer ses crocs dans l’humanité ?
« Le grand mystère de Dieu est qu’il choisit, par amour pour l’homme, de renoncer à la toute-puissance. (…) Dieu choisit ce qu’il y a de faible, de malade, de fou dans le monde pour confondre les puissants. Le faible ne touche pas notre intelligence mais notre cœur » (Croire ou ne pas croire, 2000)
Ou encore :
« Par la relation avec le pauvre, le faible ou l’enfant, le cœur, la compassion et la bonté sont éveillés, et une unité intérieure nouvelle s’établit entre le corps et l’âme. Comme si la tension entre l’intelligence et le corps trouvait une résolution mystérieuse dans cette présence au pauvre. » (Jean Vanier, Le goût du bonheur)
Le spectacle de la vulnérabilité nous interpelle. Nous sommes devant le reflet de Dieu qui se manifeste sous l’angle le plus désarmé qui soit.
« Le faible est pour moi eucharistie, icône vivante de Dieu » (Jean Vanier, Croire ou ne pas croire, 2000)
4- Quatrième leçon cardinale de Jean Vanier : le progressisme ne doit pas se muer en idolâtrie. Il faut veiller à sortir du piège narcissique de la modernité contre le passéisme. Le passé n’est pas l’ennemi de l’avenir, il s’agit d’être intelligent, de conjuguer l’un à l’autre en évitant les soustractions faciles.
« L’évolution fait partie de la vie. Les choses, comme les individus, changent. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille tout balayer du passé. Il y a des valeurs essentielles, profondément humaines, qu’il s’agit de préserver, non pas en les conservant embaumés dans leur cadre ancien, mais en réfléchissant à la façon de les vivre dans l’avenir. » (Jean Vanier, Accueillir notre humanité)
Ainsi, le passé peut incarner cette vulnérabilité du monde que nous sommes trop souvent enclins à balayer pour installer notre monde à nous, celui de notre génération. Il s’agit de ne pas tout déraciner, sous peine de violence terrible.
Pierre-André Bizien
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