La Bible légitime-t-elle le racisme envers les Noirs, au travers de Cham?
Article publié le 02/01/2020
On entend parfois que la Bible a fondé le racisme à l'encontre des Noirs : à l’appui de cette théorie mensongère, un passage de l’Ancien Testament au sein duquel l’un des fils de Noé, Cham, surprend sa nudité (Gn 9, 18-29). La descendance de ce dernier, figurée par les Noirs africains, aurait dès lors été maudite. Il suffit dans un premier temps de lire le récit biblique impliqué pour comprendre qu’il s’agit d’une assertion polémique fausse. Comme on le verra, un regard plus approfondi sur la Bible démontre que les Noirs n’y font nullement l’objet de haine particulière.
Premier fait : dans l’épisode relatant la nudité de Noé, la malédiction symbolique qu’énonce la Bible se limite à Canaan, le plus jeune des fils de Cham. Elle ne concerne absolument pas ses autres fils, dont Kush qui sera considéré comme le père des Noirs. Au contraire, et ceci n’est jamais précisé par les tenants de la théorie diffamatoire, plusieurs passages de l’Ancien Testament associent le noir à la beauté.
-Ainsi dans le Cantique des cantiques : « Je suis noire et belle » (I, 5). La traduction latine « Je suis noire et pourtant belle » a introduit une nuance douteuse et gravissime, à cause de l’inattention du traducteur (lorsqu’il ajoute un « sed » qui n’existe pas dans la version originale).
-Dans Nombres, XII, la sœur de Moïse conteste le mariage de celui-ci avec une Ethiopienne : Dieu la punit alors.
-L’Ancien Testament relate que c’est précisément grâce à l’Ethiopien Ébed-Mélek que le prophète Jérémie est sauvé de la mort.
-Dans Actes 8, un haut fonctionnaire éthiopien se fait personnellement baptiser par Philippe ; l’Esprit saint avait enjoint l’apôtre, toutes affaires cessantes, de rattraper le char de l’Africain afin de baptiser ce dernier.
-De nombreux autres passages bibliques réfutent cette idée selon laquelle l’Ecriture serait raciste envers les noirs.
Il s’agit d’être très clair : les textes sacrés ont toujours été instrumentalisés afin d’asseoir des dominations, de renverser des rapports de force, de justifier des abus de type raciste. C’est pour cette raison précise qu’il convient de bien distinguer les choses, et l’ordre causal. Je hais autrui, donc j’utilise ma Bible, je l’interprète à mon avantage et je domine l’Autre. Pour autant, les textes sacrés sont emprunts de traces humaines reflétant des préjugés traditionnels ou passagers, qui ont comme sédimenté à l’intérieur des pages une fois fixées ; mais il est scientifiquement mensonger d’affirmer que la Bible aurait légitimé le racisme envers les Noirs.
Revenir à la science
Dans un article serré, le spécialiste Benjamin Braude a par ailleurs reconstitué la généalogie de cette légende. L’implication de la pensée musulmane ancienne dans l’instrumentalisation polémique de l’épisode relatif à Cham rend le sujet explosif, d’autant plus que des complaisances chrétiennes, en leur temps, contribuèrent à renforcer la légende.
C’est pour cette raison précise que nous devons avant tout revenir à la chronologie et à l’histoire des mentalités.
« Dans l’iconographie juive, chrétienne et islamique, Cham ne devient noir que fort tardivement : en 1843 pour la première fois » (Benjamin Braude, Annales. Histoire, Sciences sociales, Cham et Noé, 2002/1)
« En 1728, un extrait de l’Histoire du grand lettré musulman Tabari (838/839-923) fait son apparition dans l’édition révisée du monumental Dictionnaire historique et critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible de Dom Augustin Calmet. (…) Dans la première édition (Paris, 1722), l’article « Cham », fondé sur les seules sources juives et chrétiennes, se bornait à raconter que Canaan avait été maudit, peut-être parce qu’il avait été le premier à voir la nudité de Noé. Le « noircissement racial » est absent, et l’esclavage n’est évoqué que sur le mode mineur. Mais une difficulté persistait : n’aurait-il pas fallu aussi condamner Cham, le méchant de l’Écriture, à l’esclavage ? C’est dans une autre source orientale que Dom Calmet devait ensuite trouver une réponse à cette question. En effet, dans le supplément de 1728, l’article s’appuie sur l’autorité de Tabari pour prétendre qu’outre Canaan, Cham et tous ses descendants sont, par la malédiction, condamnés de naissance à l’esclavage, mais aussi à avoir la peau noire » (Benjamin Braude, Annales. Histoire, Sciences sociales, Cham et Noé, 2002/1)
Pierre-André Bizien
Biographe Mont des lettres